Une émotion peut en cacher une autre

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Quatre ans et demi, c’est l’âge de Marion. Sa mère au téléphone m’a parlé ainsi :  » Marion a vécu une très forte émotion, elle n’a pas compris mon ordre et a traversé la rue sans regarder. La voiture n’a pas ralenti et heureusement Marion a continué vers l’autre trottoir en accélérant, le choc a été évité de très peu ».

Le mot est lâché « une très forte émotion » moi aussi je suis saisi quand la petite fille à peine allongée sur la table commence à raconter très calmement, et avec précision l’incident. Mes mains s’étaient posées naturellement à la base de son cou, englobant tout son thorax, des mains plutôt rassurantes. L’enfant parle, nous l’écoutons sa mère et moi, une fois le récit terminé je lui demande de dire ce qui ne va pas. Elle dit avoir du mal à s’endormir, se plaint de la tête et du ventre, la mère confirme et rajoute que juste après, la petite fille était tétanisée par la peur et ne pouvait pas parler. Les manifestations physiques sont apparues en fin de journée, l’insomnie quelques jours après.

Quel est le lien, entre ces symptômes et la « frayeur « ressentie par cet enfant ? Déjà mes mains apportent un début de réponse, je ressens une forte tension au niveau de la base du cou et plus précisément au niveau du diaphragme cervicothoracique dont les composants semblent avoir enregistré quelque chose : les premières cotes (1, 2,3) en position d’inspiration, rigides, ce qui est loin d’être la normalité chez un enfant. L’os hyoïde dont l’ossification complète se fait autour de la deuxième année de vie, était en position déséquilibrée perdant son horizontalité, en position haute. Les muscles scalènes et sternocléidomastoïdiens tendus comme des arcs. Les fascias du cou répercutent cette tension, les mains sont refoulées, venant buter contre des tissus qui forment une véritable armure.

Rôle des muscles infra hyoïdiens
Tout semble commencer au niveau de la gorge, le lieu de prédilection pour recueillir les sensations fortes, et les expressions : « le souffle coupé », « la gorge nouée » en témoignent. La perception d’oppression au niveau du larynx est la conséquence de l’hypertonie des muscles qui soutiennent l’os hyoïde, les muscles qui abaissent la mandibule vont se contracter pour ouvrir la bouche, réflexe de peur. On peut citer notamment le muscle constricteur moyen du pharynx, le muscle géniohyoïdien : les muscles supra hyoïdiens. Pour comprendre penser au tableau de Munch « le cri »où l’expression d’effroi qui se lit sur le visage qui n’est plus qu’une bouche béante.

Les muscles infra hyoïdiens vont réagir pour compenser cette hypertonie et provoquer une suite lésionnelle gênant la déglutition, les mouvements de la langue et la phonation. « J’ai du mal à l’avaler ça ne passe pas «  ou encore « je suis sans voix » deux locutions qui illustrent bien les conséquences d’une perte de mobilité de l’os hyoïde, ralenti par la contraction permanente des muscles hyoglosse et chondroglosse (muscles de la langue).
La contraction réflexe des muscles infrahyoïdiens va entraver le drainage veineux du crâne, en comprimant la veine jugulaire interne et favoriser l’apparition de céphalées.
La gaine carotidienne comprenant l’artère du même nom, la veine jugulaire interne et le nerf vague, est comprise dans un triangle musculaire constitué par les muscles omohyoïdiens, sternocléidomastoïdien et la partie postérieure du muscle digastrique est soumise à l’état de tension qui règne dans cette région. Les maux de ventre évoqués par la petite fille trouvent une explication par la compression de la dixième paire crânienne au niveau de ce triangle anatomique.

L’os hyoïde véritable niveau à bulle de l’équilibre de la région du cou, est très sensible à l’état émotionnel du corps, son déséquilibre va se répercuter sur les mouvements des os du crâne, le temporal accroche l’os hyoïde par les muscles digastriques et stylo hyoïdiens, son ralentissement contrarie le mouvement cranio-sacré et le rythme du sommeil peut être modifier ainsi que l’homéostasie du corps.

Le point de départ de cette suite mécanique incluant l’os hyoïde, le crâne, les fascias du cou et les diaphragmes thoraciques est une apnée inspiratoire bouche ouverte, le réflexe de peur par excellence. Les spécialistes de gymnastiques holistiques (yoga, taï-chi-chuan etc.) demandent au sujet de contrôler sa respiration dans les situations de danger, de souffler par le nez pour contrer les effets bloquants de l’inspiration réflexe buccale.

Signe de libération tissulaire
Marion a fini de parler, mes mains grandes ouvertes sont à plat posées sur la région thoracique supérieure, les pouces en appui sur les vertèbres C7 et T1. Elles exercent une pression douce puis en diminuant progressivement celle-ci, les tissus commencent à se déplacer. Quand une barrière est localisée, il faut l’empêcher de revenir en arrière et aider les fascias à dépasser cet obstacle. La difficulté réside en un dosage subtil entre l’approche de cette restriction et son franchissement, sans déclencher des réactions de défense. Pour cela il ne faut jamais perdre le contact jusqu’à la sensation de libération tissulaire, dont les signes sont perceptibles de différentes façons. Mais ils ont en commun la sensation «  qu’il se passe quelque chose » physiquement ou émotionnellement. C’est ce qui se produit pour Marion. Je sens une détente générale et une modification du rythme respiratoire, plus profond et plus ample accompagné de bâillements. Cela demande l’arrêt de la technique et signe la détente des fascias du cou, dont on peut apprécier maintenant l’absence de rigidité.

Une vérification s’impose, elle concerne la mobilité des os du crâne par une prise à cinq doigts, et la position de l’os hyoïde que l’on testera directement entre pouce et index, avec beaucoup de précaution en exerçant une pression très douce. La mobilité de cet os suspendu doit être totale, la moindre restriction doit être traité en fonctionnel, ou en structurel en utilisant le mouvement de déglutition pour étirer les muscles suprahyoïdiens en maintenant l’os hyoïde vers le bas.

L’ostéopathe guette les émotions. Celles-ci, on vient de le voir, peuvent engendrer des désordres physiologiques. Mais aussi lors de libération tissulaire ou articulaire, il peut déclencher des épanchements émotionnels, faire ressurgir des souvenirs comme si le corps « stocké » des tensions dans ses propres tissus en attente d’être libérées. Le plus souvent il s’agit d’évocation plus ou moins inaccessible à la conscience du patient.
Il ne faut pas négliger un aspect des conséquences de la séance par le biais de la parole dite et écoutée. Cette petite fille a raconté avec ses mots ce qui lui est arrivé, comment elle l’a vécu sur le moment et les conséquences physiques advenues. La parole a un effet apaisant car elle permet de mettre un peu de distance par rapport à un événement même si celui-ci est traumatisant. Quelques jours plus tard, tous les symptômes dont se plaignait Marion avaient disparu.

La mère attendit d’être pleinement rassurée de l’état de santé de sa fille pour se plaindre de violentes migraines, dont elle me demanda d’où elles pouvaient venir…
Cette émotion partagée entre la mère et la fille peut être le révélateur d’une histoire plus singulière qui ne pourra pas se dénouer sans l’intervention d’un autre spécialiste (psychologue, psychiatre, psychanalyste).

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