Portrait de patient #2

Une Jeune fille de 26 ans vivant seule au croisement du bd Saint Michel et du bd Saint Germain. Un studio au RDC d’une résidence d’étudiant. Elle m’avait prévenu : un accident de la vie l’avait laissé tétraplégique. Elle m’a accueilli chaleureusement, son visage est beau, il rayonne. Je reconnais cette façon de se tenir dans le fauteuil, bien droite, la tête très mobile les épaules suivent avec un peu de retard comme dissocié. Je la regarde faire, elle optimise toute les forces qui sont en elle. Ses mains peuvent saisir un objet, conduire son fauteuil électrique. Les aménagements faits permettent à Yousra d’être indépendante. Les séances de kinésithérapie seront pour soulager ses douleurs.
Elle passe ses bras autour de mon cou. Je la soulève de son fauteuil, pour la poser délicatement sur son lit. J’aime ce travail qui consiste à mobiliser des jambes qui de bougent plus. Elle ressent un relâchement, les stimulations de mes mains, un petit courant électrique agréablement perçu. La paralysie s’accompagne d’une anesthésie mais pas totale, il reste une perception qui est très mystérieuse peut-être dû aux mouvements involontaires qui secouent son corps de temps en temps.
Les gestes sont simples, appris très tôt dans les écoles de kinésithérapie, reproduire le mouvement perdu ou empêché, pour que vivent toujours le déplacement. Je m’applique à ça doucement, ne pas réveiller d’autres douleurs, respecter la physiologie du corps allongé, pour cela rester dans l’axe de la tête et du bassin.
Ainsi, elle me sourit pour me remercier peut-être d’avoir compris une toute petite chose de son monde si vaste en sensation de toute sorte. Elle se reprend aussitôt, se moque de moi, c’est vrai j’ai l’air un peu maladroit, chez elle les mouvements de ces épaules fournissent l’énergie de tout son corps se propage comme une onde jusque dans ces doigts, chez moi elles permettent une secousse bien peu optimisée, je me tiens au dessus de son lit un peu raide, elle me demande si je n’ai pas trop mal et pas sans malice si je vais tenir le coup. Je lui réponds que malgré mon grand âge, je crois que oui, et que jusqu’à preuve du contraire elle a besoin de moi.
Voilà cette relation installée entre humour nécessaire et thérapeutique indispensable.
Ces projets sont nombreux, entre autres apprendre à conduire avec une voiture aménagée et gagner encore et toujours en autonomie, toute son énergie va dans ce sens, vivre.