Face à l’océan

J’ai fini par appeler le comptable. Cela faisait des semaines que je devais le faire. Il m’a répondu avec gentillesse, m’assurant que nous avions encore le temps pour la déclaration.

Toujours cette manie d’attendre le dernier moment pour accomplir ce qui, de toute façon, devra être fait.

Comme la mort : inéluctable, prévisible, mais que l’on repousse jusqu’au bout.

J’ai envoyé un SMS pour lui demander si je pouvais lui rendre visite. Elle m’a répondu qu’il valait mieux venir après le déjeuner. Je ne comprenais pas pourquoi il fallait encore respecter des horaires, alors que son temps était compté.

Comme si je n’avais jamais rien compris. Cette pensée m’a traversé.

Elle m’a accueilli en disant : « Reviens dans vingt minutes. J’ai besoin de manger calmement, en mâchant très lentement, pour mieux digérer. »

Je suis descendu dans le jardin. Assis, j’ai regardé autour de moi. Le centre Jeanne-Garnier est un lieu de vie où l’on attend qu’elle s’éteigne. Ici, pas de bruit : les sons sont absorbés dehors par la végétation, et dedans, pas d’appareils de soins, peu de voix, mais des sourires.

Elle a pris le temps de manger, peut-être en se disant que c’était l’un de ses derniers repas.

Elle a parlé longuement au téléphone avec un médecin. J’ai trouvé cette conversation inutilement longue. J’étais pressé de l’écouter, d’entendre une amie se confier sur la terreur de mourir.

Mais c’était là, sans doute, le signe que je n’étais plus à la hauteur de l’instant : je projetais mes propres peurs.

« J’aimerais être enterrée au cimetière de Beauval, auprès de ma grand-mère », m’avait-elle confié. Avant cela, elle m’avait dit combien elle se sentait bien ici, au calme, propice à la réflexion — penser à ce qu’il restait à faire : distribuer un peu d’argent à ses nièces, organiser ses obsèques, revoir les personnes importantes de sa vie.

On a ri en imaginant qu’une entreprise de pompes funèbres aurait tout intérêt à s’installer juste en face de sa chambre. Je crois que je me suis penché à la fenêtre pour vérifier.

Je lui ai promis que j’organiserais une cérémonie dans la tradition polynésienne, dans les Landes, face à l’océan — pour célébrer celle qui aimait la mer et le surf.

Nous nous sommes quittés, embrassés.

Elle est partie huit jours plus tard, selon ses propres mots, « apaisée d’avoir tout fait avant de partir ».