Le journal du soir

Lire « Le Monde » papier livré à mon cabinet, une fiction, un fantasme, un espoir fou. Un patient a réussi à m’abonner. Je vais retrouver ce plaisir d’écarter les bras et plonger mes yeux vers l’horizon des lignes, une expérience tellement plus agréable que la lecture sur un écran de téléphone.
En fin d’après-midi, il va arriver, je vais le voir glisser sous la porte. J’attends presque impatient alors que la vieille cela n’existait pas, étrange conditionnement.
Il n’est jamais arrivé, je me suis replié naturellement vers le site du Monde et retrouver mes habitudes de lecture zapping frustrantes. 
Le lendemain matin, la gardienne est arrivée dans la salle d’attente et me l’a tendu avec un air amusé mi-agacé.  Je me suis retenu de lui dire que c’était trop tard que ce monde était déjà trop vieux. J’ai souris trop content de toucher le graal.
Sur mon bureau, ils ont commencé à s’empiler parfaitement pliés. En fait cela va trop vite toute cette intelligence condensée sur du papier, il faut respirer, souffler prendre un peu de temps. « Vous n’allez pas les collectionner quand même !», elle m’a dit cela, Fernanda. La gardienne parle d’expérience, cela fait des années qu’elle distribue ce journal dans cet immeuble tellement parisien et elle connaît les habitudes des abonnés plus exigeants envers les porteurs qu’avec eux-même. 
Ce côté snob parisien, je le repère plus facilement chez les autres que chez moi. Un journal du soir daté du lendemain c’est un signe de capitale, de privilèges, la province recule. Parfait pour le petit Rastignac venu des Landes. Du marqueur social à l’empreinte carbone, un journal papier est moins discret qu’un abonnement numérique mais au final peut-être moins émetteur de CO2, pour cela il faut le faire circuler et il n’émet qu’une fois lors de sa production. Je peux donc m’abandonner à cette pratique coupable et affronter le regard de Fernanda chaque matin en espérant que ce soit un jour, un soir.

Portrait de patient #4 : Le docteur Gérard

Ce mur qui nous sépare est très haut, en levant la tête j’aperçois une silhouette, des mots inaudibles sortent de nulle part, sûrement des fenêtres à barreaux, je longe la prison de la santé sans être indifférent à tous ces prisonniers en attente de jugement.
Je vais rencontrer un patient, âgé de 84 ans médecin à la retraite, il vit avec sa femme dans un appartement spacieux. Il est tombé et souffre d’une fracture tassement de la 1ère lombaire. Des troubles de l’équilibre restreignent sa vie, des vertiges rotatoires au début, maintenant une instabilité à la marche empêchant toute vie dehors. C’est un ancien médecin généraliste, il m’assure que ces troubles sont asymptotiques, c’est à dire sans causes médicales avérées. La chute a sûrement déclenché une perte de confiance en ses déplacements. L’équilibre et la marche ne vont pas de soi en vieillissant, ils deviennent comme dissociés. La démarche du docteur Gérard en témoigne, elle n’est pas très assurée, les exercices pour l’améliorer demandent ma présence au plus près.

Une émission de radio écoutée il y a quelques semaines parlait de rééducation chez les infirmes moteurs cérébraux, la paralysie cérébrale qui frappe ces enfants à la naissance ne leurs permettent pas de vivre normalement, des troubles de la coordination qui entravent des gestes apparemment simples comme porter un objet et marcher en même temps. Ce protocole basé sur une approche intensive à base de jeu qui privilégie le mouvement, la finalité de l’action. Une sorte de pragmatisme joyeux, travailler sans en avoir l’air, permet de répéter ces gestes rééducatifs sans jamais les lasser, indispensables pour ces tous petits pour progresser. Les résultats sont meilleurs que les méthodes plus classiques faites de mobilisations articulaires et d’exercices rébarbatifs.
Que s’est-il passé pour que je demande au docteur Gérard de m’attaquer version karatéka, je ne me souviens plus, sa main s’est dirigée vers moi l’autre est restée en protection, sa posture droite contrastée avec la précédente. Il était redevenu un instant l’homme plus jeune pratiquant cet art martial du combat à main nu.
L’un et l’autre nous avons très vite compris que le plaisir et le jeu allaient nous faire progresser. Nous avons 25 ans de différence, je rêve encore d’être un homme qui maîtrise sa force et lui de marcher debout en équilibre.
Je lui demande de m’apprendre le karaté, d’abord de se protéger de parer des coups dans une belle gestuelle. Puis de porter des attaques toujours pensées rapides, maîtrisées. Une bonne assise une tête droite, des sens aux aguets qui perçoivent l’environnement. Tour à tour nous sommes ces deux à la fois professeurs et élèves, soignés et soignants. La séance est intense, rythmée, il y a peu de temps mort, il ne faut pas laisser le temps au doute, travailler sur des acquis, retrouver cette mémoire du corps toujours très juste que le temps n’efface pas.
Sa femme nous regarde, cet étrange ballet que nous formons la laisse apparemment perplexe. Mais au fil des séances et des améliorations très nettes sur la marche et l’équilibre de son mari, elle finit par me dire : « votre méthode est géniale ». Pourtant elle n’a rien d’exceptionnelle. Le principe est simple se concentrer sur la solution pour mettre en second plan le problème. Mettre en situation de réussir là ou on échoue, le jeu, la concentration vers un objectif clair sont des moyens pour réussir.

La mémoire du futur

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L ‘ostéopathie est une pratique qui n’échappe pas à l’intuition pour s’exercer efficacement. Comme si le mot dont la définition latine est de regarder attentivement, avait été inventé en pensant à notre pratique. Cette action de deviner avant de démontrer est souvent le point de départ de tout traitement. Un instinct qui va se densifier lors du déroulement de la séance et nous permettre de voir plus clair.

Tout a bien commencé par une intuition, lorsque A. Still a eu l’idée de manipuler une vertèbre pour guérir un patient. Ensuite, la théorie faite d’empirisme et de savoir médical est venue la conforter. Cette inspiration n’est par arrivé par hasard, elle s’est nourrie de connaissance anatomique poussée et d’une observation sans faille des malades de A. Still .
Il ne faut pas penser que derrière le terme intuition, il y a une faculté supra-intellectuelle, l’intuition est un effort qui consiste à se débarrasser du superflu pour aller à l’essentiel, les philosophes (Bergson ) parlent d’expérience pure. Ce mode de connaissance directe est bien utile pour nous ostéopathe, car il nous permet de voir ce que les autres ne voient pas ou plutôt ne veulent pas voir.  Continuer la lecture

Du bon usage de l’ostéopathie

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C’est un titre un peu désuet mais il veut signifier qu’il existe un « bon usage » c’est-à-dire une pratique capable de soulager un patient assez durablement sans effets secondaires. Pour que cela soit possible, il faut la conjonction de plusieurs facteurs, que je vous propose de nommer. Au début –et bien sur dans l’idéal !- il faut un « bon patient » coopératif et confiant parce qu’éclairé sur ce qu’est l’ostéopathie et n’a pas trop subi les effets désastreux des mythologies ridicules qui circulent dans certains milieux sur le sens de l’ostéopathie ! La méconnaissance des bases de notre discipline dans l’esprit des personnes que nous soignons laisse flotter un parfum d’ésotérisme, et l’idée toute aussi nuisible qu’elle échapperait aux règles classiques de la rationalité.   Continuer la lecture